THE GERIA
AN HEROIC VINEYARD
L’effet oasis
De vastes étendues minérales, ouvertes : l'œil n'est arrêté que par les massifs montagneux ou la trop grande luminosité d'un ciel blanchi par le soleil. Et soudain c’est tout l’opposé, avec les paysages sous couvert, ombragés, humides, denses des oasis. Le contraste entre la luxuriance et l'extrême aridité sont les caractéristiques premières de ces paysages.
Oasis continentale située à la jonction des grandes steppes du Sahel et des plaines arides du pré-Sahara, Gafsa occupe une situation de carrefour entre le nord et le sud de la Tunisie. L'oasis existe au moins depuis l'Antiquité, et se distingue par son système de cultures sur trois étages et la richesse de son agro-biodiversité.
Terre de contrastes
Des conditions drastiques : 150 mm de pluie par an, des températures variants entre 5°C l'hiver et jusqu'à 50°C l'été, des vents violents venus du Sahara et un ensoleillement de plus de 3 360 h par an conditionnent une Évapotranspiration Potentielle de 1 450mm/an. Soit un déficit hydrique de 13 000 m3/ha/an :il s’évapore beaucoup plus d’eau qu’il ne pleut.
Ces conditions d'aridité rendent impossibles les cultures dans ces territoires... Si ce n'est à proximité des sources ou résurgences des immenses nappes phréatiques du nord saharien.
C'est le cas de Gafsa et de ses oasis qui ont su tirer parti de la présence de l'eau pour développer une immense ingénierie hydraulique : 2100 ha de terrain sont irrigués via la construction de plus de 120 km de canaux. Pendant plus de 2000 ans, année après année, le travail des fellah (agriculteur.trices) a ainsi permis la constitution d'un sol riche en matière organique, support des 3 étages de culture traditionnels du fonctionnement oasien.
Le système oasien
Cultiver l'ombre et la lumière
La culture dans l’oasis est une affaire de gestion de l’ombre et de la lumière. Trop de lumière et il serait impossible de garder l’humidité du sol, trop d’ombre et les strates maraîchères et vivrières ne pourraient pas se développer. Afin de garantir la plus grande diversité de culture, les fellah doivent ménager leurs plantations pour conserver ce rapport. En résulte un paysage plein de surprise, d’opacité puis d’ouverture dans lequel la lumière joue un rôle prépondérant.
Une agro-biodiversité organisée sur 3 étages
La luxuriance de l’oasis s’exprime aussi par l’incroyable diversité des espèces qui y sont cultivées. Chaque agriculteur.trice garde un espace dans sa parcelle pour préserver les semences issues de ses plantations et perpétuer ainsi la formidable banque de semences et de diversité biologique du système oasien. Les parcelles (e’-jarr) reflètent cette diversité où chaque espèce à sa place et sa fonction : une agriculture pensée comme un jardin. Cette diversité agronomique est la marque des diversités humaines ayant construit l’oasis. Carrefour millénaire sur les routes commerciales entre le Sahara et la côte méditerranéenne ainsi qu’entre le Maghreb oriental et occidental, Gafsa a toujours accueilli une forte diversité de population humaines portant avec eux culture et agriculture. Traditionnellement, l'échange et le troc permettaient la diffusion et le libre accès à ces ressources. Si la spécialisation de certaines parcelles ont quelque peu effacé cette dimension communautaire de la gestion de la ressource génétique, sa pratique reste néanmoins forte et l’ASM Gafsa travaille aujourd’hui au redéploiement et à la sauvegarde des espèces cultivées.
L’animal comme 4e étage de
l’agro-éco-système oasien
L’animal fait partie intégrante du fonctionnement oasien, sans lui, difficile de dompter les sols steppiques, limoneux à tendance argileuse des grandes plaines pré-sahariennes. Son fumier est indispensable à la bonne structure du sol et renouvelle la richesse de sa matière organique. Couplé à la présence de l’eau et au microclimat généré par la stratification végétale, le travail du sol est une composante primordiale de la condition oasienne.
Un réservoir de la diversité des espèces cultivées
Les cycles de l’oasis, un travail permanent
Dans l'oasis, il y a toujours à faire ! Tout au long de l'année, les récoltes des fruitiers s'échelonnent les unes après les autres, laissant dans l'intervalle juste le temps de préparer le sol pour les cultures maraîchères, d'entretenir les seguias et de préparer les nouvelles plantations. Jamais au repos, les parcelles portent deux cycles de cultures maraîchères ou fourragères dans l'année.
Très dense, sans mécanisation et avec trois cultures superposées plus l'élevage, l'oasis est très demandeuse en main d'œuvre. À Gafsa, elle mobilise 2.500agriculteurs toute l'année et environ 5.000 saisonniers.
Irrigation et microtopographie : la Mesqbah
L’activité de l’oasis est rythmée par le tour d’eau, qui partage l’eau des séguias et répartit le temps d’irrigation entre les parcelles. Lorsqu’arrive le tour d’eau, la vanne donnant sur la séguia principale est ouverte et tout le débit arrive sans discontinuer sur la parcelle pendant les 2h47/h a que dure l’accès à la ressource. C’est alors à la charge de l’agriculteur.trice de distribuer cette eau au sein de sa parcelle le plus efficacement possible afin d’irriguer l’ensemble de ses cultures .À l’aide de la fâla qu’il faut manier à deux, les fellah tracent des canaux à même la terre pour guider l’eau vers les mesqbah- unités de culture au niveau du fil d’eau et bordées par de légères buttes permettant l’irrigation par submersion gravitaire. Ces carrés peuvent être maraichers, fourragers ou arboricoles de manière indépendante ou bien associée : maraichers et arboricole, fourrager et arboricole parfois même maraicher, fourrager et arboricole à la fois.
Une médina oasienne
Depuis l’Antiquité, Gafsa (Capsa en latin) s’organise autour de ses différentes sources : les plus importantes sont canalisées par les Piscines romaines, tandis que d’autres apparaissent aux limites de la medina comme celles du tarmil (anciennes thermes romaines). La ville s’est construite sur le tracé d’une faille géologique : cette faille marque un seuil dans l’importante nappe souterraine de Gafsa-Nord et fait ressurgir l’eau en plusieurs sources naturelles. Au total, c’est un débit continu de 400l/s qui sort des sources de la medina pour être redirigé par canaux vers les différents secteurs de l’oasis.
« La médina et l’oasis sont indissociables ! C’est l’eau de la medina qui irrigue l’oasis, c’est les produits de l’oasis qui nourrissent la medina. »
Sources et vestiges romains, passages couverts en troncs de palmiers, marché des produits de l’oasis tous les matins sur les remparts, ruelles qui débouchent sur la canopée des jardins… La medina de Gafsa est toute imprégnée de ce caractère oasien et garde les traces d’une culture latine et berbère, auxquelles s’ajoute plus tardivement l’influence arabo-musulmane.
Le développement de l’industrie minière donne à la ville un deuxième visage, bien différent. La ville ‘moderne’ qui s’est d’abord largement étendue sur les terrains rocheux derrière la montagne du signal, commence aujourd’hui à grignoter les parcelles de l’oasis. Et c’est l’eau de la station d’épuration qui permet d’irriguer la plus récente des extensions de l’oasis, où la culture maraîchère est toute fois interdite.
Oasis historique et extensions
Le tour d’eau - la distribution de l’irrigation - organise le paysage de l’oasis. Les secteurs de jardins (e’jarr) à proximité de la medina sont aussi les plus proches des sources naturelles : l’eau y est abondante et le tour d’eau régulier (irrigation tous les 7 jours). Cela permet des cultures sur trois étages, dans une impressionnante densité et diversité de cultures maraîchères et fruitières. Dans les secteurs plus éloignés, la quantité d’eau disponible diminue et le tour d’eau est plus espacé : tous les 34 jours à l’origine, puis tous les 14 et 28 jours à partir des années 1950. Les cultures maraîchères ne pourraient pas survivre à une irrigation aussi espacée, et on ne trouve plus que 1 à 2 étages de culture dans ces secteurs d’extensions. C’est essentiellement l’olivier qui domine, avec quelques rares palmiers et parfois des cultures hivernales comme les fèves.
Mais avec le tarissement des sources, les agriculteurs ont dû recourir à des forages souterrains et organiser un nouveau tour d’eau, qui distribue égalitairement 2h47d’irrigation par hectare. Aujourd’hui, les strates arborées gardent la mémoire de ces anciens tours d’eau /gardent lisible l’ancienne organisation des tours d’eau, mais la différence entre secteurs de l’oasis tend progressivement à s’estomper.
Variations oasiennes
Si on parle bien DU système oasien, chaque oasis est unique. Les 0,5 ha de la parcelle médiane prennent un visage complètement différent suivant l’oasis où l’on se trouve
L'oasis de Gafsa
À Gafsa, la parcelle oscille entre ombre et lumière, des fruitiers s’invitent dans les parcelles maraîchères et les palmiers ponctuent l’ensemble de manière régulière mais sans suivre de plan régulier. Seule la dominance générale des fruitiers est acquise. L’ensemble s’inscrit dans la ligne du jardin, chaque recoin est unique, peu de parcelles se ressemblent.
À Chenini, seule oasis littorale du sud tunisien, la structure est centrée sur la production maraîchère, les palmiers sont positionnés en limite de parcelle, plantés au sein des séguias périphériques. Souvent, un tiers de la parcelle est réservée aux fruitiers parfois accompagnés de vignes. Il en résulte une structure ordonnée aux limites épaisses et vivantes et au cœur ouvert. Les cultures doivent ici composer avec l'air marin et la haute salinité des sols. Tous les fruitiers ne sont pas adaptés à ces conditions, mais les grenadiers et le henné prospèrent et font la réputation de l'oasis.
Comme à Gafsa, l'industrie du phosphate a bouleversé le fonctionnement traditionnel de l'oasis en asséchant les sources. Les agriculteurs, organisés en Groupement de Développement Agricole, et la société civile avec L'Association pour la Sauvegarde de l'Oasis de Chenini-Gabès s'engagent activement pour préserver le territoire de l'oasis, en renouveler le fonctionnement et proposer un développement oasien durable associant production agricole, loisirs et tourisme.
L'oasis de Tozeur
À Tozeur, en bordure du Chott El-Jerid, la parcelle est rythmée par la plantation des palmiers, l’étage maraicher-fourrager n’existe quasiment pas si ce n’est à proximité des petites maisons de village. Quelques grenadiers illuminent ça et là le sous-bois de la cathédrale de palmiers. La structure est rigide, géométrique, architecturale et homogène. En hiver, la saison des dattes bat son plein : au bord des chemins les cagettes s'empilent, remplies de rameaux orange vif des Deglet Nour destinées à l’exportation. Le soir les mobylettes traversent la ville, débordantes de palmes sèches destinées au fourdes briqueteries. La brique, faite d'argile du Chott et du feu lent des palmes, habille toute la ville de sa couleur ocre pâle et de la géométrie des appareillages.