THE GERIA
AN HEROIC VINEYARD
Le piémont Andin
Les grands panoramas parlent du piémont, de la fin des Andes et du début de la plaine amazonienne, derniers relief avant 2500km de jungle jusqu’à l’Atlantique … l’équivalent de presque toute l’Europe centrale couverte par la foret ! Un monde en soit.
Des paysages verticaux, qu’on dirait fermés, difficiles à lire de loin et impossibles dedans. Une absence de recul qui rend la photographie compliquée : comment traduire la luxuriance ? la variation des textures, des lumières ? Y a-t-il une empreinte humaine dans ce que nous avons sous les yeux ?
Brume sortant de la végétation. En Amazonie, on parle de «rivières aériennes» tant il y a d’eau dans l’air. La préservation de la forêt et de la densité végétale est importante pour maintenir le cycle de l’eau en reliant les zones de landes hautes et le bassin du fleuve Napo.
Dans la province de Napo, les chakras kichwa et les prairies d’élevage, deux modèles agricoles opposés, coexistent.
Avant les routes, les rivières organisaient l’utilisation du territoire. Les berges du Napo à Archidona.
Architecture typique en bois dans les communautés (ici dans le canton d’Archidona). Les chakras sont organisés autour des maisons.
Chaque chakra est unique
La Chakra est le lieu de production des communautés, ce n’est pas vraiment un potager, encore moins un champs. C'est plutôt un jardin-forêt dont il est impossible d'avoir une vision d'ensemble tant la végétation est dense. Comme une séquence de pièces avec des prédominances : ici le cacao, là le yuca, là-bas la guayusa. Toujours ponctuées de cultures récurrentes comme les bananiers, les agrumes, parfois la vanille ou certains palmiers, et le tout surmonté de grands arbres sylvestres, fruitiers ou ‘maderables’ (pour la production de bois d'oeuvre) : chuncho, laurel, uvilla…
Une expérience du jardin par la marche. Il faut se frayer un chemin. Ici marcher sur un tronc coupé pour éviter de laisser ses chaussures dans la terre détrempée, là carrément les enlever et remonter son pantalon pour traverser une rivière, glisser sur ses talons pour dévaler cette pente. Difficile de comprendre le trajet, mais nos hôtes, eux, savent et nous racontent.
Chakramamas et Chakrayayas
Juana Narváez
Modesto Pauchi
Lourdes
Cintia
Domingo
Hija de Sra. Catalina
Hija de Sra. Catalina
La chakra est principalement sous la responsabilité des femmes de la communauté. Non qu’elles en assument toute la charge de travail (répartie entre tous les membres de la famille) mais ce sont bien elles qui décident des temps de plantations, de la sauvegarde des semis, des époques de récolte et des rotations des cultures au sein du jardin. Ce rôle des femmes est bien visible notamment dans leur représentativité au sein des associations de producteurs.
Chaque Chakra est unique, à l’image de son jardinier. De la chakra médicinale de Bianca aux parcelles bien ordonnées, lisibles et strictes de Modesto, en passant par modèle organique et opportuniste de Cintia et sa famille, série de portraits de chakramamas et chakrayayas.
L'Agrosystème Chakra
Ici, un peu comme dans les oasis, tout est affaire d’ombre et de lumière. Ici également le jardinier-paysan doit conjuguer avec les cultures pérennes et saisonnières.
Les cultures s’organisent sur 3 étages :
- au sol : les cultures vivrières : le yuca (manioc), les bananiers et parfois l’ananas ou le maïs
- 1e étage : les cultures commerciales : principalement le cacao, la guayusa, le café, développées depuis quelques décennies dans le cadre de la diversification des sources de revenus des communautés,
- 2e étage, la canopée, constituée par les grands arbres pour le bois d’oeuvre : Laurel, Chuncho, Guava … gérée sous la forme de futaie irrégulière. Une fois un arbre arrivé à maturité (20ans) il peut être abattu et transformé sur place en élément constructif (pas de débardage possible dans l’épaisseur de la jungle). Pas de coupe rase, tout est en équilibre et on ne prélève un arbre que quand on peut s’assurer que son absence ne mettra pas en péril la survivance du système alentour.
La présence des grands arbres est indispensable au bon fonctionnement de la chakra. Leurs racines puissantes permettent le maintien des sols soumis à de très fortes et importantes précipitations, la chute abondante et permanente de leur feuillage assurant le paillage végétal constant du sol et son renouvellement. Souvent fabacées, ils fixent l’azote et enrichissent le sol de culture.
C’est le cycle de la matière organique : « Il faut rendre à la terre ce qu’elle t’a donnée ». Tout est laissé sur place pour un sol toujours couvert.
Succession des chakras
Originellement les chakras étaient mobiles et suivaient le déplacement des communautés : l’ouverture d’une chakra alimentaire se faisait pour deux saisons et était ensuite laissée à une longue phase de jachère dite realce. Avec la sédentarisation, la formalisation des propriétés et le développement de cultures commerciales, les communautés ont dû adapter le modèle traditionnel pour combiner différents cycles de culture et permettre le renouvellement des sols : c’est la chakra contemporaine que l’on voit aujourd’hui. Il s’agit donc d’un agrosystème assez récent, mais qui s’inspire et intègre toujours les pratiques traditionnelles anciennes.
Au sein d’une chakra les différentes cultures ne sont pas statiques :
- les plus mobiles sont les cultures vivrières : de courte rotation et très demandeuses en nutriments, elles doivent régulièrement être déplacées pour laisser au sol le temps de se régénérer.
- Les cultures commerciales sont inscrites dans un temps plus long, celui des petits arbres, cacao, guayusa ou café. Afin de les pérenniser et de rentabiliser leur implantation il faut les préserver durant plusieurs décennies. En début d’implantation, ces parcelles cohabitent facilement avec les parcelles vivrières (chakra initiale et ushun)
-À mesure de leur croissance, elles s’associent avec l’étage supérieur des palmiers et des grands arbres de bois d’oeuvre, qui assurent une couverture d’ombre légère (purun)
Afin de garantir un parfait renouvellement des sols, les parcelles sont tour à tour laissées en realce. On distingue le ‘realce’ court, celui de la régénération d’une parcelle de yuca par exemple, et celui plus long permettant la régénération des parcelles de cultures commerciales.
La chakra est un agrosystème qui n’altère pas la capacité de résilience de l’écosystème forestier : il ne faut pas plus de quelques années pour que revienne une vraie forêt secondaire à plusieurs étages.
Ce n’est pas le cas de l’élevage, qui découvre et épuise les sols. Par contre, avec du temps et de l’attention, on peut transformer un pré en chakra !
Les composantes du paysage
De la cancha al monte. Le territoire communautaire s’inscrit dans un gradient de la présence végétale entre :
- la cancha : le terrain des parties de football du dimanche ou des prises de décisions collectives, bordé de maisons de bois sur pilotis, seul espace de plein ciel du territoire communautaire.
- la jungle : centre de la vie collective sauvage. Pour un habitant du sol, le ciel y disparait complètement sous l’épaisse canopée des grands arbres, eux-mêmes investis d’épiphytes, de termitières, de lianes ou abritant des colonies d’abeilles, de fourmis ou de termites.
La chakra investit l’interstice entre ces deux ensembles et représente le lieu de rencontre entre les populations humaines (runa) et sauvages (sacha) dans la cosmogonie kichwa. C’est le lieu de pratique commune d’une agriculture partagée entre les actions humaines (bouturer, planter, ouvrir, récolter) et naturelles (photosynthèse, pollinisation, dispersion des graines, amendement …). C’est également un lieu de transmission et d’enseignement à la co-habitation avec l’altérité dans des rapports de force parfois mais plus souvent d’alliance avec les dynamiques naturelles.
Un espace de pratiques partagées entre deux mondes que les cultures occidentales séparent.
Sur les trois cantons de la province de Napo, les chakras forment une frange le long des axes de communication et représentent 2,3% du territoire, occupant 10.000 familles. 85% de la province restent couverts par la forêt secondaire ou primaire.
Une diversité de parcelles
Des agriculteurs organisés
Face aux bouleversements des dernières décennies (importation de modèles agricoles hors sol, pression sur la jungle via la déforestation, exode rural, variabilité extrême des marchés alimentaires globalisés …) les producteurs des communautés kichwas amazoniennes se sont organisés en associations de producteurs qui elles-même se sont regroupées en Corporation.
C’est grâce à la Corporación Chakra que nous avons pu mener notre enquête.
Ces structures collectives et auto-organisées ont plusieurs missions : assurer un lien entre producteurs et marchés (locaux ou étrangers), mettre en commun les processus de transformation et de conditionnement, assurer le partage des savoirs et la recherche agronomiques (appui technique, certifications écologiques), promouvoir les produits des communautés via notamment des systèmes de labellisation élaborés localement et en concertation avec les producteurs. En somme pérenniser et faire reconnaître leur propre modèle d’agriculture plutôt que d’importer des modèles extérieurs.
L’enjeu de l’agriculture dans le piémont amazonien défendu par ces associations n’est pas de repousser la frontière agricole (défricher la forêt pour cultiver plus), mais bien de maintenir et développer les pratiques vertueuses permettant la bonne cohabitation entre les populations humaines et la jungle. Les chakras font ici figure d’exemple.
Le Sello Chakra (Label Chakra) est une initiative de la Corporación Chakra répondant aux objectifs de valorisation des produits des jardins-forêts. Il a été élaboré grâce à un Système Participatif de Garantie (SPG) en concertation avec les producteurs et articulé autour des valeurs de la chakra.
Tous les producteurs de la Corporation sont déjà certifiés « bio », mais le Sello permet d’aller au-delà des techniques de production en reconnaissant également comme critères fondamentaux :
- le paysage et la biodiversité de la chakra,
- sa structure culturelle et sociale qui fait des femmes les leaders des questions agricoles,
- ainsi que le croisement entre savoirs traditionnels kichwas et techniques agronomiques contemporaines.